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des nouvelles de sébastien morin

14 février 2014

mission divine et formule 1

                                

                En trente-six ans j'ai bien dû dormir une vie de chat entière. Au moins la moitié de la mienne. Ce qui revient à dire que je n'ai vécu en état de veille que dix-huit ans. La majorité ainsi atteinte, il aurait été naturel que je commence à penser à passer mon permis, à voter, à chercher du travail, une femme fertile, et à m'accomplir dans toutes ces occupations d'adulte. Mais le destin me réservait un tout autre sort. Un avenir hors du commun, qui allait changer celui d'une petite partie de l'humanité. La partie permanentée.

On m'a souvent reproché mon immaturité, alors que dans cette nouvelle perspective il s'agit juste d'un problème d'hypersomnie. De plus, si l'on ne compte pas les années de sommeil d'un chat, j'ai déjà vécu plus longtemps que ce fainéant qui passe son temps à dormir sur moi qui passe mon temps à dormir sous lui. Sauf bien sûr si l'on considère que cet animal a neuf vies. Là, forcément, s'il en est déjà à sa troisième, je lui dois le respect de l'âge.

Mon existence à moi, ma seule vie, s'est jusqu'ici presque entièrement déroulée entre le crépuscule et l'aube, à l'abri de toute exposition au rayonnement solaire et à ses ondes électromagnétiques pleines d'ultraviolets qui donnent le cancer de la peau et provoquent des lésions brunes et croûteuses nécessitant des interventions chirurgicales et chimiques douloureuses. Trop dangereux le jour. Certes, il y a des gens qui vivent la nuit, comme moi, mais ils travaillent, ou ils sortent pour boire de l'alcool avec des gens qui partagent le même projet. Ou ils habitent vers le cercle polaire arctique. Ou ils sont morts depuis longtemps et profitent de l'obscurité pour quitter leur cercueil et aller boire le sang des gens qui étaient sortis boire de l'alcool ensemble et qui ont décidé à un moment de se séparer pour retrouver un camarade parti uriner dehors depuis trop longtemps.

Moi je reste dans mon lit. Ou plutôt mon parc, comme je l’appelle depuis que les lattes se sont écroulées lors de mon dernier rapport sexuel avec celle qui me l’a offert, et qu'il ne reste plus que l'encadrement en bois autours d’un matelas à même le sol. Mais peu importe le nom que je lui donnerai, sa fonction restera sépulcrale. Comme épitaphe brodé sur mon oreiller, le constat d'une vie rêvée: "il aura bien dormi".

Chaque fin de nuit, quand le THC finit par avoir raison du principe de réalité, je guette l’arrivée d’un kevin spacey venant m'attacher à mon sommier pendant un an pour me punir de ma paresse et me laissant dans un état déplorable devant cet acteur dont le nom m’échappe tant je ne suis pas amoureux de lui secrètement. Parce que ce n'est que de cela au fond dont il s'agit: je suis un paresseux. Pas ce mignon petit mammifère d'Amérique du sud qui vit dans les arbres, non, juste un gros corps mou qui vit dans l'assistanat.

Et pourtant. Il arrive parfois que, même aux moins méritants, même aux plus misérables des pécheurs, le divin, dans son infinie miséricorde, se manifeste afin de magnifier leurs existences inutiles et d’en faire un modèle de vertu universel. C'est ce qu'il m'est arrivé. C'est mon histoire.

 

              Ce matin-là j'avais pourtant mis mon réveil à dix-sept heures, mais je ne l'ai pas entendu, et le soleil était déjà couché quand j'ai ouvert l'oeil. Du coup je me suis rendormi quelques heures -oui j'aime bien traîner au lit le matin- et n'ai vraiment émergé qu'à partir de vingt-trois heures trente. Je l'avais bien mérité cette grasse mat'. Mais ce bouleversement dans mon horloge biologique avait changé les périodes de sommeil paradoxal, et en me réveillant au milieu de l'une d'elles, j'avais gardé un souvenir précis et détaillé de mes dernières productions oniriques. La proximité entre le rêve et la réalité était si confondante que la vérité de l'adage populaire qui me seyait le mieux jusqu’à présent m'apparut soudain comme une évidence: "Mieux vaut vivre son rêve que rêver sa vie". Et c'est ce que j'allais décider de faire. 

J'étais nu dans une piscine à bulles, et chaque fois que l'une d'elle éclatait, elle libérait une note de musique. Des personnes âgées en bikini dansaient au ralenti autours des lattes de bois qui encadraient la piscine. Elles avaient l'air heureuses. Des saucisses de strasbourg flottaient dans l'air en répandant une odeur de cochon délectable. J'essayais de les attraper mais mon bras était mou, et alors que la frustration commençait à s'emparer de moi, une voix puissante et autoritaire couvrant la musique des bulles s'appropria le focus de mon rêve afin de me révéler la mission pour laquelle j'étais destiné: "Tu es la septième merveille du monde des péchés capitaux : le plus paresseux des hommes! Qui mieux que toi peut ramener les brebis égarées dans le troupeau des gentils moutons vertueux?" ...plusieurs réponses me venaient à l'esprit alors qu'il enchaînait... "Je sais que plusieurs réponses te viennent à l'esprit, mais tu dois maintenant assumer le don dont je t'ai doté!" ...L'amorce d'une petite chanson rigolote pouvait peut-être me servir d'échappatoire à cette nouvelle perspective de responsabilité: le dondon jetédoté didon dindon didoudé... "Laisse ton animal porteur de force dans sa caverne! Le dindon ne te servira à rien ici! C'est le plus grand moment de ta vie et toi tu cherches à t'en évader!" ...didoudidondadoudé.... "Je te laisse tranquille mais il faut que tu capitules d'abord! Il faut qu'au lieu d'en avoir peur, tu saches que tu ne mourras jamais! Tu es immortel Ayrton Senna!" A ce moment-là je ne savais pas encore pourquoi il m'appelait comme ça. "Tu dois sauver le monde!" ...Didoudidoudidondadoudidoudère... "Si tu veux attraper les saucisses, tu dois t'en donner les moyens!" Et sur cette métaphore condensant l'essence même de sa parole divine, il se tut. Les saucisses avaient disparu. Les personnes âgées aussi. La piscine était vide et molle, comme un matelas. Seules les lattes de bois m'encadraient toujours. J'étais réveillé.


Ma première initiative fût de saisir mon pc et, après avoir déplacé mon chat, ce fainéant, de consulter wikipedia pour en savoir un peu plus sur cet Ayrton Senna: pilote automobile brésilien... mort le... à la suite d'un accident... bla bla bla... rivalité avec Prost... ha oui! Alain Prost. Je me souviens de lui. Les pub Midas. Est-ce qu'il en a fait des pub lui Ayrton Senna... ha oui tiens, une pour Marlboro. Bon, je ne vois vraiment pas ce que dieu a voulu dire par là. Je vais essayer autre chose. Missions divines forum... mission divine et terrestre. Voilà. aufeminin.com rubrique astro. Parfait. "Il y a en toi de l'amour alors dispense le autour de toi et il te reviendra encore plus fort. Il n'y a que l'amour qui nous aide à surmonter les obstacles et la souffrance. L'amour c'est le soleil qui nous réchauffe de ses rayons, les arbres en fleurs en cette période printanière, le souffle du vent, le regard innocent d'un enfant, le geste simple de l'ami, le sourire du passant que l'on croise, le verre d'eau qui étanche notre soif et tant de petites choses dont on ne mesure pas l'importance." 
Ouais. Pas faux. Mais Ayrton Senna là-dedans? J'en sais pas plus. Je vais poster un commentaire, quelqu'un sera peut-être en mesure de m'aider.

"Bien le bonsoir mesdames. Je suis moi-même féru d'amour, d'enfants innocents et de verres d'eau. Vos paroles m'ont bouleversé. Le passage avec les arbres et les fleurs m'a transporté dans une clairière où mon grand-père courait au ralenti derrière l'enfant que je fus autrefois, sauf que cette fois je ne pleurais pas, j'étais heureux. Merci pour tout ce que vous dispensez autours de vous. Merci d'être, tout simplement. J'ai également trouvé la comparaison entre l'amour et les rayons du soleil très juste. Dure mais juste. L'amour peut en effet être, d'un certain point de vue, considéré comme la tumeur maligne du cœur et provoquer des lésions existentiels brunes et croûteuses nécessitant des interventions chimiques. Mais en réalité je m'en remets à vous car je viens d'être investi d'une mission divine, et je ne sais pas vraiment par quel bout commencer. Il est question de saucisses et de moutons, mais je ne peux pas vous en dire plus ici, vous comprendrez. Dieu m'est apparu sous les traits d'une célébrité hollywoodienne que l’on pourra trouver à son goût, bien que ce ne soit pas mon cas, et la première règle c'est qu'il est interdit d'en parler. Toutefois, connaissez-vous Ayrton Senna? P.S: si cela peut vous aider, je suis bélier ascendant capricorne."

Je n'ai jamais reçu de réponse, mais un beau jour, vers seize heures du matin, quelqu'un a sonné chez moi. C'était une quadragénaire permanentée, en tailleur et chaussures à talons, portant de grandes boucles d'oreilles rondes et un collier de perles blanches. Une panoplie de maman des années quatre-vingt. Elle n'était pas vraiment laide mais beaucoup trop maquillée pour savoir si elle était vraiment belle. Nous sommes resté une dizaine de secondes à nous examiner avant de parler: oui? Elle n'a pas répondu tout de suite. Mon oui résonnait encore et sonnait de plus en plus faux. Victoria Prost. Entrez, je vous en prie. Vous devez trouver ça étrange que je débarque chez vous à l'improviste comme ça mais... Non, non, ne vous en faites pas, ça ne me dérange pas le moins du monde. Suivez-moi donc dans ma chambre. Mais alors que je regagnais mon lit, je m'aperçu qu'elle était restée là où je l'avais laissé. Victoria? N'ayez pas peur, rejoignez moi. Ses talons s'exécutèrent aussi lentement que bruyamment, et bientôt elle apparaissait dans le cadre de la porte. Je sais, dit-elle d'un air grave. Je ne savais pas ce qu'elle savait, mais pris la même expression qu'elle, on ne sait jamais, ce pouvait être sérieux. Mon père me l'avait dit juste avant de quitter notre mère la terre pour rejoindre le paradis des papas. Pour lui vous étiez toujours vivant. Lorsque je vous ai lu sur aufeminin, j'ai tout de suite su que c'était vous monsieur Senna. Durant ma dernière séance d'astro-voyance spiritranscosmique, j'ai réussi à me connecter avec mon père, votre ami Alain, et il m'a dit que vous vous étiez planté là-haut aussi. Au début je me suis bien sûr demandé ce qu’il advenait des âmes accidentées, et puis j’ai vite compris que la vôtre avait dû redescendre sur terre et se réincarner. Parce que vous êtes un battant. Ne sachant pas vraiment quoi répondre, je saisis mon paquet de marlboro et lui en tendis une. Cigarette? Oui Ayrton, cigarette, répondit-elle d'un air grave et entendu. Ses yeux brillaient en me fixant. Elle croyait en moi. J'avais beau chercher une petite chanson rigolote qui aurait pu me servir d'échappatoire à cette nouvelle perspective de responsabilité, mais rien ne me venait. Je lui tendis une boîte d'allumette. Elle fuma en silence, sans me lâcher du regard, sans même cligner des yeux, ou alors en même temps que moi, puis elle reparti.

Le lendemain deux autres femmes passèrent me voir. Mais vraiment juste me voir. Avec dans les yeux le même espoir que j'avais décelé dans ceux de Victoria. Les jours suivant furent épuisants. Les femmes étaient de plus en plus nombreuses, et venaient à des heures invraisemblables. Parfois même avant midi. Au bout de quelques semaines, je commençais réellement à manquer de sommeil, et même si ces visites me faisaient plaisir, je finis par devenir irritable, et donc nettement moins hospitalier. Je ne me levais même plus pour aller ouvrir. J'avais accroché un panneau sur la porte d'entrée de mon appartement : Réincarnation d'Ayrton Senna. Mission divine. Visites: pas plus d'un quart d'heure (au fond à gauche).

Je jouais à la playstation pendant que les femmes défilaient dans ma chambre pour me regarder. Par soucis de crédibilité, je ne jouais qu'à des jeux de voiture. Certaines apportaient des gâteaux qu'elles avaient confectionné, d'autres des vêtements qu'elles avaient tricoté. Elles ne me parlaient jamais. Elles posaient leurs offrandes solennellement et me regardaient un quart d'heure en fumant une marlboro, par respect pour l'âme qui m'habitait. De mon côté, je décidais de m'affubler d'un casque de mobylette que j'avais retrouvé dans le placard maléfique: cette pièce (au fond tout droit) d'où certains ne sont jamais ressortis. Cette antre maudite qui aspire toutes mes affaires et les entasse jour après jour pour que je ne les retrouve pas. Ce lieu habité par un esprit malin qui voudrait me donner mauvaise conscience en me rappelant chaque jour qu'il faut que je range. Mais il ne m'aura pas eu, car je n'étais plus seul dorénavant. Avec mon casque et mes mamans des années quatre-vingt, je me sentais plus fort, et en parfaite sécurité. J'avais commencé à leur demander de me rendre quelques services, et elles s'y étaient employées avec enthousiasme et non sans une certaine fierté. A vrai dire je n'étais moi-même pas peu fier de leur offrir l'occasion de se sentir utile. C'est comme ça que le placard maléfique perdit de sa malfaisance en retrouvant un agencement cohérent, en adéquation avec l'ordre cosmique. Je compris ainsi pourquoi ma mère me disait que ranger son environnement aidait à y voir plus clair dans sa vie. Tout était devenu limpide pour moi. Le sens de ma vie consistait à donner à ces femmes un sens à la leur. Après le placard, le reste de l'appartement retrouvait en quelques quarts d'heure sa dignité anté-premier état des lieux. L'encadrement en bois autours de mon lit avait été peint en rouge et blanc, comme mon casque. Mon chat et moi étions nourris à notre faim. Tous mes papiers étaient remplis, classés et envoyés. Je décidais alors qu'il était temps pour moi de passer mon permis et de partir sur les routes afin de donner du sens à l'existence humaine. Je ne voyais plus qui d'autre que moi pouvait ramener les brebis égarées dans le troupeau des gentils moutons vertueux.

Le DVD du code de la route alternait avec les leçons de conduite sur playstation. Si bien qu'en l'espace d'un mois à peine j'étais fin prêt. Une rubrique m'était consacrée sur le site aufeminin.com, afin de financer mon prêche automobile. La voiture de course que je décidai d'acheter était la Williams FW16 dans laquelle j'avais eu mon premier accident mortel. L'occasion de montrer au monde qu'une deuxième chance est toujours possible, grâce au phénomène de transmigration des âmes. Ainsi mon chat n'était plus le seul à bénéficier du luxe de pouvoir se permettre au moins une existence inutile.

 

               Après réflexion, je pense que je dois mon accident à la condensation fabriquée par la chaleur de mon corps depuis que mon matelas était à même le sol. Les gouttelettes d'eau ont dû humidifier le parquet et fragiliser le bois au fil du temps. Lorsque le plancher s'est effondré sous moi il n'y avait personne d'autre dans ma chambre. Il était trois ou quatre heures du matin et mes fidèles avaient pour la plupart un mari et des enfants. Heureusement, ma cave était juste en dessous. Malheureusement je n'avais pas les clefs. La première femme qui entra dans ma chambre poussa un cri d'une fréquence que je ne connaissais pas. Une fois que le mot était passé, et que le débat sur mon accident avait occupé la plupart des forums sur le site, les visites reprirent un temps, moins fréquentes, mais suffisantes pour nous permettre de survivre mon chat et moi. Nous recevions de quoi boire et manger par le trou dans le plafond de ma cave. De temps en temps une femme se penchait pour me regarder par le trou dans le sol de ma chambre. Tout va bien monsieur Senna? Mais l'admiration et l'espoir avaient fait place à la peur. En effet, deux écoles s'affrontaient sur aufeminin, et la plus influente était celle de la cave maléfique; une théorie selon laquelle j'aurais été aspiré par les forces des ténèbres. C'était la voyante officielle du site qui en était à l'origine. Depuis le culte qui m'était voué, plus aucune femme ne l'avait consulté, et elle avait développé envers moi aigreur et jalousie. Après avoir lancé la rumeur selon laquelle mes sentiments envers ce monsieur Pitt serait de nature ambivalente, je savais qu'elle ne me louperait pas si elle en avait l'occasion.

A l’heure où j’écris ces lignes je suis toujours dans ma cave. Mon ordinateur n'ayant presque plus de batterie, je vous fais part de mon histoire comme un appel au secours répondant au votre. Vous avez besoin de moi et de mon chat de berger pour vous ramener dans le troupeau, mais j'ai aussi besoin de vous pour me permettre de donner un sens à vos vies. Aidez-moi à vous venir en aide.

                         En vous remerciant par avance, je compte sur votre compréhension pour passer me voir de temps en temps. Je suis Ayrton Senna, et je demande une troisième chance.

                                                                                                                                                                                                                        Sébastien Morin.

 

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28 août 2012

Les aventures de Superducon (partie 3) "ça y'est, il l'a trouvé"

Il attendait depuis près d'une heure sa fille et sa fiancée qui ne rentraient pas malgré la pluie torrentielle s'abattant sur Chichilianne. 

Pour lui elles étaient mortes. Noyées ou emportées par un éboulement, ça ne lui importait plus vraiment maintenant, il avait déjà élaboré toutes les probabilités des circonstances de leur accident, et la conclusion était toujours la même: elles ne rentreraient plus jamais à la maison.

Le téléphone allait sonner et une voix glacée, ne simulant même pas la compassion, lui demanderait s'il était bien le père d'une des deux victimes, et il s'effondrerait et le monde en ferait de même autour de lui et il mourrait à son tour sous les décombres de sa vie.

Mais alors qu'il écrasait sa cigarette à peine allumée sur la montagne de mégots encore chauds qu'était devenu son cendrier, la porte d'entrée s'ouvrit brusquement, lui faisant l'effet d'un électrochoc, et son coeur se remit à battre.

- Coucou papa! On a fait la douche dehors! Pas besoin de prendre mon bain alors ce soir hein d'accord?

La mère de la petite était venu encore dégoulinante embrasser son mari qu'elle savait mort d'inquiétude de les avoir cru mortes de n'importe quoi d'autre.

- Tu vois chéri, ma théorie se vérifie une fois de plus: retard n'est pas nécessairement synonyme de décès. Excuse-moi, Amelle voulait passer par le parcours de santé.

Il lui sourit le plus sereinement possible et passa sa langue sur ses lèvres mouillées du baiser qu'il venait de recevoir. A ce moment précis il aurait bu n'importe quel liquide provenant d'elle comme une eau de vie.

- T'inquiète chérie, j'en ai profité pour essayer mon nouveau tabac.

- Et pour reproduire le mont aiguille en mégots?

Avec les années leur pudeur avait pris pour habitude de camoufler leurs émotions derrière un mot d'esprit ou une malice. Parfois un simple sourire ou encore un silence parlant. Quel que soit son masque, l'information passait toujours. Sans esclandre. Bien sûr il n'en avait pas toujours été de même, et comme tous les couples ils avaient eu leur lot d'incompréhension. Mais la sagesse diffusée par ondes hertziennes leur avait enseigné qu'aimer, c'est c'qu'il y a d' plus beau, et que pour monter si haut, il fallait parfois savoir donner sans rien attendre en retour, et ne pas s'en aller. 

-Bon, ben maintenant que tout le monde est ressuscité, que diriez-vous d'un bon Nesquik près du feu les filles?

- Ouiiiii! Du goûter!

- Non petite maline, pas de choco BN, on va bientôt passer à table. Viens avec moi dans la salle de bain, je vais te sécher pendant que papa prépare tout ça.

Il remit une bûche dans le feu et prépara les boissons chaudes avec un sourire béat.

Il avait toujours eu peur de perdre les gens qu'il aimait, mais il savait que s'il perdait réellement ces deux-là, il se perdrait aussi.

Ils étaient tous les trois assis sur le canapé, face à la cheminée, et buvaient lentement leur mixture, en silence, chacun perdu dans ses pensées.

- Tu sais papa on a vu un monsieur tout nu dans le parcour.

- Quoi?

La béatitude avait à nouveau laissé place à l'inquiétude sur le visage du père, aussi protecteur avec sa fille que Tony Micelli avec Samantha.

- T'inquiète il dormait, s'était empressée d'ajouter la femme qui l'aimait assez pour jouer les anxiolytiques de temps en temps.

- Il dormait tout nu sur le parcours de santé?

L'objet de son angoisse avait subitement changé.

- Oui avec une cagoule.

L'objet de son angoisse avait subitement perdu de son intelligibilité.

- Et vous êtes allées voir s'il avait pas un problème?

- Non, maman voulait rentrer à cause que tu t'inquiètes toujours.

L'objet de son angoisse s'était subitement chargé de culpabilité.

- Mais heu.. tout nu tout nu ou..

- Avec une cagoule.

Avec une cagoule.. sur la tête?

- Sur la tête oui, mais il était tout nu du zizi.

- Oui bon tout nu quoi. Je devrais peut-être aller voir non? On sait jamais, c'est bizarre quand même cette histoire.

Il chercha un encouragement dans les yeux de sa fiancée.

- Prout..

Il aimait cette femme, davantage qu'il n'en avait jamais aimé, et qu'il n'en aimerait probablement jamais plus aucune autre, mais il ne supportait pas la nonchalance qu'elle verbalisait régulièrement à travers cette onomatopée flatulente.

- Bon, il pleut moins, je vais aller jeter un oeil. Il était où exactement?

- Sous le mur d'escalade en bois, au pied du mont aiguille.

 

Lorsqu'il fut arrivé sur place il n'y avait personne. Il se rapprocha de l'endroit pour se donner bonne conscience et constata avec soulagement qu'il venait de faire tout ce qui était en son pouvoir afin de réparer sa faute. 

Que sa peur de la mort ait pu causer la mort de quelqu'un dans le monde réel lui était apparu comme une chose insurmontable. 

Il rejoignit son foyer en se disant qu'il s'agissait peut-être, au mieux d'une mauvaise blague ou d'un bon gage, au pire d'un vrai problème qui avait été solutionné depuis.

Mais il n'était pas rentré assez rapidement et l'anxiété l'avait rattrapé sans difficulté. Peut-être avait-il mal regardé, ou pas au bon endroit. Peut-être encore que l'homme avait réussi à se traîner ailleurs. Peut-être même jusqu'en haut du mont. Et dans ce cas, est-ce-qu'il aurait laissé des traces, ou un indice?

Il retourna sur les lieux et, après les avoir minutieusement inspecté, aperçu la cagoule à moitié enfouie sous le sable. Il tomba de tout son poids sur les genoux et leva les yeux au ciel en hurlant:

- NOOOOOOON!!! POURQUOOOOOOOiii???

Personne ne lui répondit. Il prit le passe-montagne dans les mains et l'inspecta. Il y avait une étiquette sur la couture intérieure, avec un nom inscrit dessus, le sien, sébastien morin. Son nom et son prénom à lui, inscrits sur le vêtement d'un autre, il avait trouvé ça bizarre. Cette découverte irrationnelle aurait dû le plonger dans un état d'anxiété intense mais il était resté étrangement calme. Plus encore qu'il ne l'était auparavant. Plus qu'il ne l'avait jamais été à vrai dire. Il avait basculé dans une autre dimension, le savait, et semblait s'y être résigné. Ce phénomène ne dépendait pas de sa volonté , et le seul choix qui s'offrait à lui était d'accepter ce signe comme une mission. Une quête de lui-même à travers l'autre, l'inconnu, cet inquiétant semblable nu.

Il se déshabilla entièrement, plia ses vêtements et les posa soigneusement sous le mur d'escalade, puis il passa la cagoule sur sa tête avec solennité. Le mont aiguille se dressait devant lui. 2000m de roche. Il le regarda de bas en haut et murmura avec autant d'aplomb dans la voix que de détermination dans le regard. Moins comme une provocation qu'un simple avertissement:

-A nous deux maintenant ma belle.

 

FIN définitive.

 

13 août 2012

Les aventures de Superducon (partie 2) "A la conquête du truc perdu"

 

       Chichilianne. Le Mont Aiguille. M'y voilà. Bizarre comme nom pour une montagne au sommet plat. Si le destin m'a amené ici, c'est qu'il doit y avoir un sens à cette forme ; celui que prendra ma quête. Adebisi m'avait parlé de la symbolique des figures géométriques. Celle-ci c'est à peu près un trapèze. Si je trouve mon équilibre en l'escaladant, ça fera de moi un trapéziste. Aïe ça me le refait.. le docteur m'avait dit que ce désagrément dans la poitrine venait du fait que le cœur oubliait parfois de battre et qu'il devait envoyer plus de sang une fois la mémoire retrouvée.

J'lui en veux pas à mon cœur, moi aussi ça m'arrive d'oublier des trucs que je dois faire des fois. C'est normal de mettre un coup de bourre quand on est en retard. Peut-être que je développe une sorte d'alzheicoeur. Ou c'est juste un peu de procoeurstination. En tout cas ça me le fait de plus en plus fréquemment depuis mon arrivée. C'est bon, c'est passé. Je vais faire le tour de la montagne pour voir s'il y a une paroi accessible aux débutants. Une sorte de piste verte pour alpinistes en herbe.

 

  • Bonjour.

  • Bonjour.

 

Pourquoi il m'a regardé comme ça lui ? J'ai pas oublié de m'habiller pourtant cette fois. Bon. Je dois tout simplement avoir un air con, sans raison particulière. Tant qu'à faire je me mets à l'aise alors.

Comme un serpent laissant sa vieille peau derrière lui.. par contre elle est pas biodégradable celle-ci, je vais la brûler. Voilà. Aucune trace de mon passage ici. Aucune trace de mon passage nulle part d'ailleurs à ce stade de ma vie. Mais j'assume. C'était ma seule ambition jusqu'à présent : vouloir l'éternel retour du chaos. Détruire pour reconstruire pour redétruire pour.. devenir con. C'était pas prévu ça. Je suis habitué à composer avec l'imprévu. Je m'en suis toujours bien accomodé. Les stoïciens m'ont appris qu'il n'y avait guère d'autres choix face aux choses qui ne dépendent pas de nous. Seulement voilà, cette fois ça dépend carrément de moi. Et dans ce genre de situation, les stoïciens nous ont appris à nous foutre un gros coup de pied au cul.

J'ai jamais vraiment essayé cette méthode en fait. J'attendais le bon moment. L'occasion qui ne dépendrait pas de moi pour m'y mettre. La solitude, même subie, reste un contexte favorable à l'introspection. Il s'agit de retrouver confiance en soi après avoir perdu confiance en l'autre, histoire de pouvoir quand même se fier au moins à quelqu'un. Que cette personne soit moi m'aidera certainement à voir venir plus tôt la trahison à l'avenir. Par sécurité je vais quand même ritualiser un peu le contrat en me tranchant les deux poignets pour mélanger mon sang avec le mien.

Pour encore plus de sécurité je ne vais pas faire ça en fait.

On dirait bien que ça commence à fonctionner, j'ai réfléchi. Ca faisait longtemps. Pas désagréable comme sensation. Et à seulement mille mètres d'altitude. Arrivé en haut je serai une tronche ! Aïe ça me le refait. Je dois être fatigué. Si le cœur a une mémoire il a peut-être un inconscient aussi, et besoin de sommeil pour son expression. S'il rêve j'en saurai un peu plus sur les causes de son dysfonctionnement. Je procèderai à l'interprétation de mes rêves cardiologiques demain matin, il commence à se faire tard, je vais établir mon campement ici pour la nuit, sous le mur d'escalade en bois de ce parcours de santé, ce sera parfait.

J'ai pas froid j'ai pas froid j'ai pas froid j'ai pas froid..

 

Louise ? Qu'est-ce-que tu fous là ? Non, sors de mon cercueil, me touche pas.

Ho ça va... pourquoi t'as juste gardé l'encadrement en bois du lit que je t'ai offert ?

Je sais pas.

Allez sors de là, il fait jour, vas vivre, sinon tu resteras un con.

Tu me manques tellement.

Toi aussi, si tu savais.

Ha ?

Quoi ha ?

Adebisi ? Qu'est-ce-que tu fous là ? Non, sors de mon cercueil, me touche pas.

J'y comptais pas vraiment ducon, t'es pas mon genre. Et j'ai quelqu'un en ce moment.

Pourquoi tu me dis ça putain? Ca fait six mois que je fais tout pour ne rien savoir de toi !

Ho ça va..

 

  • Maman y'a un monsieur tout nu qui dort sous le mur d'escalade.

  • Allez viens ma puce, on va aller un peu plus loin.

 

Putain j'ai froid ! Quel con d'avoir cramer mes fringues.. il doit être super tôt là, le soleil est encore bas. J'espère bien que le monde appartient aussi à ceux qui ne se lèvent tôt qu'une seule fois parce que je compte pas repasser une nuit ici. J'vais essayer de grimper jusqu'en haut dans la journée. Ca va être rude, j'ai dû dormir sur mon bras gauche, il me fait hyper mal. Bon, allez debout ! Coup de pied au cul ! Epictète est dans la place ! ..BEUARGH !.. kof kof.. dégeu.. je déteste vomir.. kof.. j'ai dû me lever trop vite ou prendre froid cette nuit.. BEUUUUUARGH ! kof..c'est quoi ça ? J'ai pas mangé de saucisses hier.. c'est probablement encore un signe : « si tu veux attraper les saucisses, tu dois t'en donner les moyens », une phrase de Tyler Durden ou de dieu, ou d'Adebisi, je sais pu. En tout cas ça donne un sens à la présence de ces boyaux intestinaux de porc dans mon organisme. Il est justement question ici de se donner les moyens d'arriver à ses fins. Être dans l'action libre, et non plus dans l'adaptation. Même si le corps ne suit pas. De toute façon, selon Epictète, il fait partie des choses qui ne dépendent pas de nous. Ceci dit je vais quand même rester un peu assis sous ce mur d'escalade en bois, je ne me sens pas très bien. Il faut reconnaître que, même si notre corps ne dépend pas de nous, on reste un peu dépendant de lui quand même. Putain il pleut maintenant. La lose. Qu'est-ce-que je fous là ? Je ferais mieux de courir tout nu sous la pluie jusqu'à son bistrot et de commander une tartine chèvre-miel pour qu'elle voit que je ne suis plus con. Ou du moins que j'y travaille. Non, si tu crois propre à toi les choses qui dépendent d'autrui, tu rencontreras à chaque pas des obstacles, tu seras affligé, troublé, et tu te plaindras des dieux et des hommes. Manquerait plus que je devienne aigris en plus de con.

J'ai vraiment du mal à respirer, ça doit être l'altitude. En ville l'air est pourri et à la montagne y'en a pas, faut aller où pour respirer? Aïe putain là il a bien dû zapper de battre quand même cet étourdi de coeur parce qu'il galope comme un troupeau de vaches poursuivies par un jeune chien fou. Je vais m'endormir un peu en pensant à cette scène, je l'avais trouvé belle, ça va me détendre. Quoi de plus apaisant qu'un petit chien faisant courir dix fois 800 kilos.. la preuve qu'il est possible de déplacer des montagnes.. demain, parce que là j'ai de plus en plus mal au bras gauche et mon coeur il est poursuivi. Je suis vraiment pas sûr que ce soit une bonne idée de m'endormir mais tout ce bois autour de moi ça me rappelle mon lit. Mon cercueil. Ma bataille perdue. Fallait pas qu'elle s'en aille. Wohoho. Je suis tout cassé. BEUAaaargh.. putain..

Je meurs pas je meurs pas je meurs pas je meurs pas..

 

  • Maman le monsieur tout nu il dort encore, on le réveille ?

  • Allez viens dépêche-toi ma chérie il pleut comme vache qui pisse ! Rentrons à la maison nous mettre à l'abris, papa va s'inquiéter.

  • D'accord..

 

                                                                                                      à suivre..

 

 

 

 

 

7 août 2012

Les aventures de Superducon (partie 1) "A la recherche d'un truc perdu"

 

         Non, là y'a plus de doute possible, j'ai vraiment perdu quelque chose. Faut que j'arrête de me voiler la face maintenant. Les premiers temps je pouvais encore prétexter un coup de mou mais là je dois me rendre à l'évidence ; j'ai vraisemblablement perdu un truc. C'est un fait. Plus rien ne fonctionne comme avant. Tout m'échappe. Je ne séduis plus. Je ne fais plus rire. Même plus sourire. Je suis devenu embarrassant pour les gens. En société, presque chacune de mes phrases est ponctuée par un silence et aussitôt oubliée par la gêne partagée qui s'ensuit. Le malaise est quasi palpaple. Les gens ont honte pour moi. Mon esprit a pris du poids. Le sens aiguisé de la répartie qui me caractérisait a filé comme une flèche. En quelques jours mon humour est devenu gras. Mes opinions grossières. Mes sentiments ventripotents. Et en conséquence de quoi mon amour-propre a pris du bide lui aussi. Existe-t-il un programme minceur pour les gens qui souffrent d'obésité mentale dans notre culture du tout allégé, ou est-ce-que seul un bon vieux marabout africain traditionnel est encore habilité à faire revenir mon mojo ? ..quelle étrange alternative je me propose là. J'avais de bonnes idées avant. Je me souviens que je leur faisais confiance et qu'en général les choses se passaient bien. Pourquoi un marabout africain ? Ha oui.. le petit papier qui reste toujours au fond de ma boîte aux lettres.. je le vois à chaque fois que je prends mon courrier. Tout s'explique. Je comprends mieux maintenant pourquoi je le laissais là. Y'a pas de hasard. Moi j'en étais pas encore conscient mais lui il savait déjà que j'allais avoir besoin de lui. Si ça c'est pas la preuve qu'il est doué ce.. ce ?

 

  • Professeur Adebisi, puissante voyance pure, sorcier héréditaire, succès professionnel et amoureux, chance au jeu, puissance sexuelle, protection des ondes maléfiques et amélioration des énergies, récupération de mojo, résultat en 3 jours, 100% garanti.

 

Si c'est pas du bol ça. Je me sens déjà mieux. J'appelerai plus tard. Allez, à la douche. Popopopom.. qu'il est doux de toucher un corps d'homme bien fait sans qu'il n'y ait forcemment d'ambigüité..

Tiens je vais faire une blague au boulanger après, on va bien rigoler. Où j'ai mis cette cagoule déjà ?..

 

  • Haut les mains ! C'est un hold-up !

  • Salut Seb. Un américain avec du fromage à la place des oeufs? Je te fais ça tout de suite.

 

Il a même pas levé la tête. Suis dégoûté. J'ai une idée, je vais me cacher et quand il reviendra avec le sandwich on va bien rigoler cette fois.

 

  • Et voilà, il te faut autre..

  • BOUH !

  • ..chose ?

  • Heu.. non, merci ça va.

  • Fais gaffe quand même tout nu avec ta cagoule, y'a des grand-mères ou des enfants que ça peut effrayer.

  • Ok, excuse-moi Ludo.

 

Alors celle-là je l'enlève et la remets plus jamais, elle est pas marrante. Bon, il est temps que j'appelle. Je ne suis manifestement pas encore tout-à-fait rétabli.

 

  • Allo bonjour Professeur Adebisi ?

  • Monsieur Adebisi, pour vous servir.

  • C'est pour une première consultation.

  • Qu'est-ce-qu'il vous arrive ?

  • J'ai perdu un truc.

 

 

97 avenue Ozwald, cité Emerald, en face de la fontaine, c'est là. Bon, rien de vraiment folklorique à première vue. Une résidence surveillée. Un gardien. Une caméra à l'entrée.

 

  • Bonjour. Monsieur Adebisi ?

  • Maître Adebisi, Monsieur Adebisi n'est déjà plus. Les choses changent à chaque instant. Vous n'êtes déjà plus celui que j'ai eu tout-à-l'heure au téléphone.

  • Ha.

  • Quoi ha ?

  • Ben..

    ..Ha quoi. Je sais pas..

  • Tu sais pas ? T'étais pas au courant que le monde est en perpétuel mouvement?

  • Si bien sûr..

  • Alors à quoi il servait ce Ha ?

 

Pourquoi j'ai dis ça moi...

 

  • Je te parle ! Quand on ouvre la bouche, quand on décide d'agir sur le monde, de quelque manière que ce soit, il faut être capable d'en assumer tous les effets ! Jusqu'à la plus infime conséquence du plus insignifiant des actes! Tout ce que tu fais se doit d'être voulu, décidé, car même un pauvre Ha peut potentiellement changer le cours du temps, et pas seulement ton avenir mais celui de toute l'espèce, et pas seulement la nôtre mais...

  • Ok, j'ai dis Ha parce que je suis devenu con. Et c'est pour ça que je suis là.

  • Eh ben voilà.. c'est sorti. Tu viens me voir parce que t'es con.

  • Oui, je le suis.

  • Bien. Maintenant que les prémisses sont posées, on va pouvoir commencer à travailler. Assieds-toi mon ami.

  • Sur le fauteuil là ?

     

..ça servait à rien non plus ça, il va se foutre de ma gueule.. non, je suis parano, il va pas relever..

 

  • Tu peux toujours t'asseoir par terre mais tu seras mieux sur le fauteuil prévu à cet effet non ? Qu'est-ce-que t'en penses ducon ?

 

Ha ouais quand même. Il y va fort là. Sur le principe il a pas complètement tort mais tout de même : ducon.. c'est pas fairplay ça, c'est pas ce que j'appelle de la vanne bon enfant. Il le sait pourtant que je suis con, je viens de le lui dire. A quoi ça sert d'appuyer les évidences ? C'est vraiment pas cool. Je vais lui balancer une bonne vanne qui va trop le casser tellement que son insulte elle va rebondir sur lui multipliée par deux.. non en fait je vais pas faire ça. Mais qu'il recommence pas, parce que je réponds plus de rien.

 

  • Alors ducon, comment c'est arrivé ?

  • ...

  • Tu sais ducon.. t'es pas seul. J'en vois tous les jours des comme toi.

 

Putain c'est de la compassion ça ! Je le vois dans ses yeux.. quel bâtard.. il va voir de quel bois je me chauffe ! Je vais mettre un miroir devant moi et tout ce qu'il dira..

 

  • Bon, je me lance : J'ai toujours eu un esprit plutôt raffiné, des jugements avisés, un humour subtil et une faculté de raisonnement plutôt bien huilée. La vie me souriait et le monde était à moi. Toutes les filles tombaient sous mon charme. Je me rends compte seulement aujourd'hui à quel point ce que j'avais était précieux.

  • Un classique mon ami, un grand classique..

  • Ha non ça suffit maintenant ! C'est plutôt vous le grand classique !

  • ...

 

C'est sorti tout seul ça. Est-ce-que c'est con ? J'avais dit : je répond plus de rien.. bon maintenant c'est fait, y'a plus qu'à attendre le verdict.

 

  • Adebisi Le Grand Classique. Ca me plait ça. Continuez.

  • ..Attendez j'ai fait un truc bien là non ? C'est pas con ça?

  • Si, mais ça flatte mon égo. Chacun son talon d'achille. Même si toi t'en as deux. Et heureusement que t'as pas plus de pieds.

 

J'ai pas compris mais l'intention ne m'a pas échappé. Il me vanne encore. M'en fout. Je continue. La bave blanche de la colombe n'atteint pas..

 

  • Et donc j'ai été brillant moi aussi Môssieur, quand bien même certains n'en déplaise à d'autres. Et j'adorais vanner comme vous le faites. A l 'époque je comprenais le second degré et tout ça mais depuis quelques trentaines de jours..

  • Combien de trentaines exactement ?

  • Je sais pas heu.. six trentaines à peu près.

  • Vous avez donc commencé à devenir con il y a six mois.

  • Peut-être oui.

  • Ha mais là j'ai bien peur que la pathologie ne soit installée depuis bien trop longtemps déjà pour que je puisse faire quelque chose.. vous auriez dû venir me voir avant.. ha je suis vraiment embêté là mon bon monsieur..

  • Vous pouvez pas me laisser dans cet état là ! J'suis trop con ! J'arriverai plus jamais à baiser !! Ni même à être.. ne serait-ce que le confident ! Monseigneur Adebisi ! Maître vénéré ! Je vous en suprie !

  • Mmm.. c'est délicat.. mais peut-être bien qu'on peut s'arranger.

  • Ho merci grand manitou !

  • Tu dis n'importe quoi là.

  • Oui peut-être, mais j'ai tellement besoin de vous.

  • Je peux avoir besoin de vous aussi Monsieur.. Monsieur ?

  • Morin.

  • Ce cochon de Morin.

  • Ouais.. ça sonne moins bien que le grand classique quand même..

  • C'est une nouvelle de Maupassant ducon.

  • On n'a qu'à garder ducon alors.

  • Pour l'instant.

 

Putain 60 euros quand même. Y'a intérêt à ce que ça marche. Je vais aller boire un verre dans un troquet et essayer son truc.

 

  • Bonjour

  • Qu'est-ce-qu'il prendra le jeune homme ?

  • Je sais pas, faut lui demander.

  • A qui ?

  • Ben à moi.

 

Je le sors maintenant le ducon ou c'est trop tôt ?

 

  • Heu.. qu'est-ce-que vous prendrez ?

  • Un demi.

 

Alors là si je l'ai pas mouché lui ! Adebisi avait raison : y'a toujours plus con. Il suffit de le souligner et notre propre bêtise s'en trouve relayée au second plan. Je vais essayer avec cette nana, elle a l'air d'avoir un potentiel.

  • Excuse-moi.

  • Oui ?

  • Non rien, excuse-moi, c'est tout.

  • Mais de quoi ?

  • D'abord pour la maladresse avec laquelle je suis en train de te draguer, ensuite pour tout le mal que je vais te faire quand tu seras amoureuse de moi, et enfin pour la manière brutale dont je te quitterai après plusieurs années à te tromper avec tes meilleures amies.

 

Ce sont les mots d'Adebisi qui sortent de ma bouche. C'est de la voyance pure ça.

 

  • Bah au moins t'es un original toi.

  • Et même pas quebecquois pourtant !

 

Merde, j'ai été moi là. C'est pas original, c'est orignal le cerf. Adebisi il se serait jamais trompé lui. Allez, on se reprend, on perd pas la face, on se démonte pas. Pense Adebisi seb. Ne pense même pas. Sois Adebisi. Ouvre la bouche et laisse-le parler.

 

  • Les quebecquois sont d'une originalité sans pareil. T'es déjà allé là-bas ? Tu sais que ce sont eux qui ont inventé le théâtre d'impro ? T'en as déjà vu ? Moi j'en ai carrément fait. C'est hyper dur, toi t'y arriveras jamais, laisse tomber.

 

Je suis pas du tout sûr de mon truc là. Mais au moins elle a oublié le coup de l'original.

 

  • Ha non je pourrais jamais faire ça, je suis trop timide. Mais j'en ai déjà vu. Tu faisais ça dans quelle troupe ? La Troupe d'Improvisation Rennaise ?

  • Non la.. oui c'est ça, la TIR. Ils sont bons hein ! Qu'est-ce-qu'on a rigolé ensemble.. j'ai arrêté parce que j'en ai vite fait le tour et à la fin je ressentais le besoin de me professionnaliser.

  • Ha ben justement, ils ont dû y arriver aussi depuis parce que ce soir ils jouent au Liberté, ça te dit d'y aller ?

  • Ouais carrément.

  • On fera la fête avec eux après, mon copain les connait un peu.

  • Ouais carrément.

 

De toute façon elle était pas terrible.

 

  • Bon, je vais enfiler un smocking et je te t'appelle quand je suis prêt.

  • Mais t'as pas mon numéro.

  • T'inquiète, je les ferai tous jusqu'à ce que je tombe sur toi.

  • Ha ha ! T'es un rigolo toi !

  • Oui, et pourtant je ne me prostitue même pas !

 

Bon. De toute évidence il y a quelque chose qui m'échappe dans cette histoire. Qu'est-ce-qui a bien pu se passer pour que la vie me fasse la gueule comme ça ?

 

  • Adebisi Le Grand Classique ?

  • Votre Excellence Adebisi, pour vous servir.

  • C'est Morin Le gros cochon.

  • Ce cochon de Morin.. quel bon vent vous amène ?

  • Justement. J'ai fait comme vous m'avez dit mais ça n'a pas marché. Je viens de m'en prendre encore un. On peut se voir là ?

  • C'est qu'il commence à se faire tard maintenant, j'allais fermer.

  • Mais votre cabinet est chez vous non ?

  • Et ?

  • Et je..

 

Sois bon Seb. Ne te manque pas.

 

  • ..j'ai besoin de vous.

  • Bon. Je vais voir ce que je peux faire. Arrivez le plus vite possible mais passez au distributeur avant, ça va être beaucoup, beaucoup plus cher à cette heure-ci.

 

J'ai 200 euros sur mon compte. Je touche le RSA la semaine prochaine. Il me reste des pâtes. Plus je lui donnerai d'argent, moins je serai con.. ça vaut le coup.

 

  • Votre Excellence, merci de me recevoir si tard.

  • Vous avez fait vite, je suis encore Votre Excellence.

  • Bon, ça marche pas votre truc, j'ai essayé d'être vous mais le problème doit venir de moi : j'y arrive pas.

  • Eh bien on avance.. Alors qu'est-ce-qu'il s'est passé il y a six mois ?

  • Je sais pas moi.

  • Quand vous m'avez appelé la première fois, vous m'avez dit avoir perdu un truc.

  • Oui.

  • Et qu'est-ce-que vous avez acquis depuis ?

  • Ben.. rien. Je suis juste devenu con.

  • Est-ce-que ce ne serait pas justement ça que vous avez perdu ? Un con. Dans le sens anatomique du terme.

  • Haaa oui peut-être. Ma fiancé m'a quitté il y a six trentaines de jours à peu près, ça concorde avec vos calculs non ?

  • Voici ma théorie Monsieur Morin: vous avez tout simplement perdu con-fiance en vous.

  • Ouah.. vous êtes vraiment trop fort Votre Excellence.

  • Adebisi le Chatoyant, pour vous servir.

 

C'est pas donné sa méthode mais elle a de l'avenir dans les milieux alternatifs post-lacaniens neo-comportementalistes non-conventionnés. C'est rapide et efficace. Et maintenant que je sais ce que j'ai perdu, ça va être plus facile de le retrouver. Forcemment. J'avais oublié que le con c'est la teucha.

Alors, mon amour-propre..

..une montagne à gravir. Et avec le bol que j'ai il doit être au plus haut. Autant m'y mettre tout de suite. Plus j'aurai confiance en moi, moins je serai con. Ou moins j'aurai l'impression de l'être. Et moins j'en aurai l'air, du coup. Au pire, j'en aurai plus rien à foutre de toutes façons. Allez, ma cagoule, mes chaussures de marche et zou, je me la fait cette montagne.

Pourquoi tout le monde me regarde comme ça ?



  • Tiens Ludo, tu fermes ? Ben oui tu fermes je le vois bien hé hé je suis pas con !

  • La question n'est pas là Seb, tu le sais que je t'aime bien, et c'est vraiment pas pour moi que je dis ça mais fais gaffe quand même tout nu avec ta cagoule et tes chaussures de marche, tu vas finir par avoir des problèmes.

                                                                                          à suivre..

 

Retrouvez les aventures de Super Ducon dans : A la conquête du truc perdu.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

2 juillet 2012

sale histoire au dernier étage du pavillon 7

Un étron gros comme l'avant-bras m'attendait chaque matin derrière une porte des sanitaires communs. Il m'arrivait parfois de ne pas tomber dessus, mais je gardais toujours à l'esprit sa présence inéluctable dans un cabinet de toilettes voisin. Il y avait quelque chose de presque sécurisant dans cette idée. Une constante. Un repère. Au moins un truc de sûr, de vraiment fiable dans un monde changeant dont la contingence se révélait douloureusement à moi jour après jour. Avec en même temps cette dimension effrayante et menaçante dans la possibilité de tomber dessus. Une épée de Damoclès suspendue derrière une des portes. Avec du recul je ne peux m'empêcher d'y voir un substitut de la figure paternelle. Peut-être même un objet transitionnel. Quelques mois auparavant mon père avait eu un accident mortel et à son enterrement ma famille avait jugé bon pour moi que je ne voie pas son cadavre dans la chambre funéraire. Depuis j'avais le plus grand mal à faire mon deuil et de toute évidence, je n'étais pas le seul ici à en chier pour évacuer ma peine. J'accusais sans vergogne la fille de corpulence adipeuse au fond du couloir. A cette époque je croyais la taille des selles proportionnelle à celle des intestins. Une théorie controversée depuis.

Le même jeu de hasard m'accompagnait dans les douches communes. Les cloisons qui les séparaient entre elles nous permettaient de connaître la pointure de nos voisins. On pouvait se laver entre du 44 et du 47, mais il arrivait parfois que, lorsque les astres étaient convenablement alignés, l'on se retrouve entre deux délicieuses paires d'un 36/37 aux orteils vernis, qui faisaient de ce moment ordinaire un instant magique. J'en garde un souvenir troublant.

 

Depuis quelques jours, le bruit courait qu'un voyeur sévissait dans les douches du pavillon 7. Un papier de la direction stipulait : « attention, un voyeur a été vu dans les douches ». Je me demandais qui pouvait bien l'avoir vu. J'éprouvais une certaine compassion pour cet individu violé dans son intimité. Quoi de pire pour un contemplatif que d'être à son tour un objet d'observation ? Quelle image de soi avait pu lui renvoyer le regard épouvanté de la personne qu'il regardait? S'était-il trouvé moche ? Voire menaçant ? Se considérait-il à présent comme un gros étron sur lequel on a peur de tomber ?

Au bout de plusieurs années, la cité universitaire ressemble à une grande colocation. Tout le monde se connaissait plus ou moins au dernier étage de ce bâtiment, et le soir venu, les 9 mètres carrés d'une chambre pouvaient accueillir une quinzaine de personnes. Ce soir-là l'ambiance était pesante dans la pièce. La conversation tournait autour de cet événement, et le ton n'était pas à la clémence :

« S'il avait fait ça à Marie je lui aurait coupé la tête en deux ».

C'était Julien. De nature exclusive, il éprouvait le plus grand mal à concevoir la notion de partage en amour. Marie ne réagissait pas à ses démonstrations testostéroniques mais n'en demeurait pas moins sensible. Elle fumait sereinement en éprouvant la sécurité qu'il lui garantissait.

« Moi je suis sûr que c'est le vieux.» avait lâché Acau,. Mais l'accusateur, contrairement à l'accusé, aurait pu être n'importe qui d'autre. Tout le monde pensait que c'était le vieux qui avait fait le coup. Depuis son aménagement à l'étage, il était source de tous les fantasmes. Un véritable catalyseur de suspicion. La muse de tous les ragots. C'était déjà lui qui avait volé les yaourts de Zaher, lui qui prenait le courrier de Stéphanie, lui qui planquait probablement des armes dans sa chambre, et qui avait certainement déjà mangé de la chair humaine.

 

Il était 1h du matin quand il a frappé à la porte. On était déjà bien saoul et ça sentait fort le vieux shit de Port-de-bouc dans la pièce. Persuadé qu'il s'agissait du veilleur de nuit, on avait baissé la musique et ouvert la fenêtre, tout en sachant que ça ne servait à rien. On était dans la chambre de Julien mais c'est moi qui suis allé ouvrir, avec l'espoir de semer le doute et la confusion dans l'esprit du trouble-fête. Lorsque j'ai ouvert la porte, la température a brutalement chuté de 20 degrés. C'était le vieux.

« Vous pouvez arrêter de faire du bruit ? »

Personne ne répondait, ils le regardaient comme s'ils étaient hypnotisés. Encore aujourd'hui je reste persuadé qu'il leur a jeté un sort ce soir-là, et que mon âme n'était pas suffisamment faible pour se laisser manipuler. Je m'étais donc chargé d'effectuer le mouvement de tête adéquat afin qu'il pense que j'étais moi aussi sous son joug, et que j'aurais obéi sans sourciller à ses injonctions. La supercherie a dû fonctionné puisqu'il s'en est allé.

Quelques jours plus tard, Acau était venu me demander si le voyeurisme était contagieux. Je lui avais déjà parlé de mes petits plaisirs podophiles dans les douches, et il s'était senti en confiance pour aborder le sujet avec moi.

« Le truc du vieux pervers là, je crois que ça m'a fait quelque chose Seb. Ce matin je me suis douché à côté d'une nana, et j'ai eu des pensées malsaines. En me baissant pour nettoyer mes orteils, je me suis aperçu qu'on pouvait voir les mollets des filles. Je sais, c'est pas ton truc, toi c'est les pieds, mais tu t'y connais un peu en molletphilie? »

Honteux de ne pas maîtriser le sujet, je lui avais sorti le couplet nietzschéen sur la morale judéo-chrétienne, que j'utilisais habituellement à des fins sexuelles avec les étudiantes. Il était reparti plus ou moins déculpabilisé, mais m'avait laissé un lourd secret que je devais partager l'instant d'après avec Julien.

« Ju, faut que je te parle d'un truc, mais avant je dois être sûr que je m'adresse bien à toi. Est-ce-que tu penses toujours ce que tu as dit l'autre soir sur le voyeur, Marie, et le coupage de tête en deux ? »

« Ben ouais pourquoi ? »

« Ouf. Il t'a pas eu. »

« Putain non il m'a pas eu ce fils de flûte, je lui aurais crevé les yeux avec les dents fada! »

« Tu comprends pas Julien. C'est pas le vieux qui a fait le coup. Pas directement en tous cas. Je crois qu'il manipule les esprits à distance, et qu'il leur fait faire des trucs pervers. Il est rentré dans la tête d'Acau ce matin, et il a fait des trucs dont j'avais jamais entendu parler tellement c'est malsain.»

Le regard vide et le silence de Julien me laissaient penser l'espace d'un instant qu'il ne s'agissait peut-être pas de mon ami qui se tenait en face de moi, mais du vieux, et que si c'était le cas, il savait à présent que je savais. Cette pensée me glaçait le sang. Jusqu'à ce qu'il ouvre enfin la bouche...

« Le bâtard, sans déconner il a fait ça ? Mais je vais te me lui écarteler les joues et lui arracher la glotte à ce cabinet ! »

Plus aucun doute, c'était bien Julien. Nous étions au moins deux à être en mesure d'agir. Les autres étaient probablement déjà tous aux douches en train d'essayer de se regarder mutuellement. Il fallait faire quelque chose avant que l'épidémie ne se propage à tout le bâtiment. On ne connaissait pas encore l'étendue des pouvoirs maléfiques de ce sorcier anthropophage.

 

L'idée de la pétition était de moi. Celle d'en modifier l'objet, de Zaher, ou la raison du groupe. Selon lui, mon interprétation des faits était fantaisistes, et une pétition contre un télékinésiste cannibale voyeur sataniste pouvait ne pas être prise au sérieux par la direction de l'établissement. On avait donc décidé de se concentrer uniquement sur l'aspect voyeuriste du personnage. Mais il nous fallait encore des preuves, sinon, il ne s'agissait que de délation, et ça, c'est pas bien. On avait quand même quelques notions d'histoire de France. Nous avions donc décidé de lui tendre un piège. J'avais proposé ma chambre pour réunir l'étage et élaborer un plan. Même la grosse était là. Les idées fusaient.

« On pourrait mettre un mannequin bourré d'explosifs dans une douche, avec un détonateur biométrique à reconnaissance rétinienne, qui se déclencherait au moment où le vieux essayerait de matter ».

« Ouais ! Ou alors pendant 24 heures les filles occuperaient toutes les douches sauf une, dans laquelle on aurait dévié la tuyauterie en la reliant à un bidon d'acide sulfurique... »

« Je vous arrête tout de suite, on fait fausse route là. Vos idées ne sont pas mauvaises d'un point de vue purement pragmatique , elles pourraient même être fonctionnelles, je dis pas, mais selon moi elles ne prennent pas suffisament en compte la dimension éthique du projet. Après ça n'engage que moi...»

Ainsi parlait Zaher. Pour nous c'était un peu le schtroumpf à lunettes de la bande. Mais comme on n'était pas des bleus, nous on l'écoutait, parce que l'expérience nous avait déjà prouvé plus d'une fois qu'il était de bon conseil. Je décidai alors de répéter exactement la même chose que lui en vulgarisant son propos afin de le rendre accessible à tout un chacun et de récolter ainsi tous les honneurs de sa suggestion.

« faudrait pt'être pas le tuer quand même ».

Zaher lui il s'en foutait des honneurs. Il vivait dans le monde des Idées où l'amour est un concept alors il n'avait pas besoin de niquer lui.

« Qu'est-ce-que tu es sensible Seb, c'est trop chou.... »

Stéphanie l'avait dit mais toutes les autres le pensaient, vu la manière dont elles me regardaient. Sauf Marie, parce que Julien lui aurait coupé la tête en deux.

Dans un excès de zèle j'avais continué : « Parce que finalement, même s'il est différent, ça reste un homme ». Je sentais bien que j'étais allé trop loin et que personne ne me suivrait sur cette pente glissante. Mal à l'aise par ce nouveau postulat à prendre en compte, chacun avait tenté de recentrer le débat.

« C'est un pervers quand même ».

« On le connait pas ».

« Et pis il est vieux ».

Leur raisonnement se tenait, je devais abandonner ma théorie. L'idée d'avoir perdu les filles m'avait complètement déstabilisé. Je savais que je n'aurais jamais dû prendre d'initiative sans l'aval de Zaher. Par chance, la fille à qui j'attribuais les productions fecales géantes s'était levée et avait quitté la chambre. C'était l'occasion ou jamais de me refaire.

« Je suis sûr qu'elle va aux toilettes ».

L'association d'idées s'était inconsciemment faite dans la tête de tout le monde, et les regards entendus de mes amis à mon égard avaient rapidemment suppléé au passage à vide que je venais de traverser. Mais une fois de plus, je n'ai pas su m'arrêter.

« On devrait aller voir si c'est vraiment elle ».

L'association d'idées s'était inconsciemment faite dans la tête de tout le monde, et les regards entendus de mes amis à mon égard avaient rapidemment laissé place à une véritable inquisition silencieuse. Pendant un instant, j'étais vieux. Même Julien m'avait lâché.

« Tu veux dire qu'on devrait aller regarder sous la porte des toilettes Seb ? »

Si la question avait été posée par Zaher, je l'aurais traduite par : tu veux qu'on t'enduise de goudron et qu'on te recouvre de plumes Seb ? A ce moment précis, je n'avais pas d'autres choix que d'utiliser mon jocker : « Non, je rigole ». Eclat de rire général. Fin de l'histoire.

L'ambiance s'était rapidemment réchauffée dans la chambre et les joints commençaient à tourner autours des bouteilles d'alcool. On avait abandonné l'idée du piège et j'avais proposé un jeu du dé, sorte d'action ou vérité pour adulescent. Le nombre de filles présentes me laissait espérer obtenir au moins un bisous sur la bouche. Je me disais que peut-être Lylia payerait même son sein.

Au bout de quelques vérités inintéressantes et d'une somme d'actions insignifiante, les langues ont commencé à se délier, mais au final plus pour les vérités que dans les actions. La question portait sur le voyeurisme, la thématique du jour, et Stéphanie, qui commençaient a être plus que pompette, avait lâché un pavet dans la mare :

« Moi franchement si j'avais vu qu'on me mattait j'aurais rien dis. Si ça peut faire plaisir à quelqu'un, moi je m'en fous ».

Et Noredine de répondre :

« Préviens-moi quand tu vas à la douche, je t'accompagnerai ».

Ces deux là ne s'encombraient que rarement des conventions sociales et encore moins de considérations morales. Le naturel qu'ils avaient tous deux mis dans leur bref échange avait eu pour effet de vider le sujet de sa charge pathologique et de le rendre suffisament acceptable socialement pour que chacun aille à confesse l'un après l'autre.

« Tu me diras Noredine, moi je prendrai l'autre douche » avait renchéri Acau.

« Moi je ne viendrai pas, c'est pas marrant si y'a plus assez de douches pour le vieux. C'est la possibilité d'être matter qui est excitante, pas la garantie ».

Je lui avais répondu : « Tu sais Lylia, t'as toujours la possibilité de montrer tes seins au cours de la partie ».

C'était lourd, je le savais, mais je m'en foutais.

Elle m'avait souri timidement, par pure compassion, puis avait ramassé le dé pour le relancer, par pure provocation.

« Si je fais un 4, on invite le vieux ».

Après que tout le monde se soit toisé du regard à tour de rôle, le premier « J'embarque » s'était fait entendre, et avait rapidement appelé tous les autres. Lylia avait lancé le dé, et on avait eu l'impression qu'il ne se serait jamais arrêté. On avait tous peur et envie que le 4 tombe. On n'avait plus que peur quand il est tombé.

Le jeu du dé ça ne plaisante pas. Une fois qu'on a embarqué et que le chiffre est tombé, on n'a plus le choix. Julien, fidèle à lui même, s'était levé en premier sans lâcher du regard Marie, qui contemplait sa masse musculaire se tendre puissament. Il s'était dirigé à pas lents vers la porte et l'avait ouverte avec assurance. Une fois qu'il avait disparu dans le couloir, tout le monde s'était rué à la porte et une quinzaine de têtes contemplait cette performance héroïque. Arrivé devant la porte du vieux, Julien restait immobile, et personne ne comprenait vraiment ce qu'il attendait. Sa réputation n'était pas celle d'une lopette. Au bout d'un moment, il s'était retourné vers notre tas de têtes en déclarant d'une voix grave :

« J'en étais sûr ».

D'un geste lent il avait décroché une feuille de la porte et s'était redirigé vers ma chambre. On était tous autours de lui et attendait anxieusement qu'il nous en lise le contenu.

« Avant tout je tenais à m'excuser pour les yaourts et le courrier. J'ai décidé de mettre un terme à mon existence. Vous pourrez trouver dans ma chambre, outre mon corps, toutes les cassettes vidéos que j'ai pu faire sous les douches, ainsi qu'un sac d'armes sous le lit. Dans le congélateur vous trouverez plusieurs plats sous céllophane à base de viande humaine. Vous pouvez les consommer, je n'en aurai pas le plaisir là où je vais. En ce qui concerne mes autres méfaits, je sais qu'il y en a un de vous qui sait, et maintenant il sait que je sais qu'il sait. »

Profitant de l'effet de choc, j'avais sauté sur l'occasion de me mettre en scène une ultime fois en lançant ma tirade de la manière la plus mélodramatique possible.

« C'est à moi d'aller là-bas, et cette fois personne ne pourra m'en empêcher ».

Marie, qui n'avait pas été plus que ça affecté par la lettre, avait levé les yeux vers moi et s'était aussitôt prise une tape derrière la tête par Julien.

 

Le lendemain, en allant aux toilettes, je sifflotais comme un pinson gay, et au moment d'ouvrir la porte, je m'apperçu que je n'avais pas peur. Il n'y avait rien à l'intéreur. Gonflé de courage, je décidai alors d'ouvrir une autre porte, et puis une autre, jusqu'à la dernière : rien. Au lieu d'en être destabiliser, je me sentais étrangement serein. C'était la preuve que tout pouvait passer. Même les plus grosses merdes. Cette démonstration de la contingence par les canalisations n'eut pas sur moi d'effet nauséeux, au contraire, c'était la nausée même qui s'en était allée. En décrochant le cadavre du vieux la veille, j'avais vu ce que pouvait être un corps sans vie. Et je n'avais pas trouvé ça si effrayant. Je constatais juste avec résignation le caractère limité de la vie. Son caractère comestible aussi, dans le congélateur.

La police avait emporté les armes, les pompiers le corps, et moi les plats. Quand on est étudiant on ne fait pas la fine bouche.

Durant ces quatre années universitaires, je n'aurais pas trouvé les réponses et la sécurité que je cherchais dans la philosophie, mais j'aurais appris à faire preuve de courage face à la précarité de la vie, au sentiment d'insécurité inhérent à la condition existentielle de l'homme, au caractère inévitable et nécessaire de la mort, mais surtout à avoir la classe devant les filles, comme Julien. Même si derrière elles il l'avait quand même beaucoup moins. En sortant des toilettes pour rejoindre les douches j'étais tombé sur lui, allongé sur le ventre à même le sol, les jambes écartées, les coudes en l'air, les paumes des mains en parfaite adhérence avec le carrelage, et la tête penchée sous la porte d'une douche. On aurait dit un insecte. Je ne lui ai plus jamais reparlé de cet épisode, mais il savait bien que ce jour-là, il avait perdu de sa superbe avec moi. C'était un peu son « hapax existentiel » à lui. Lorsque nous passions du temps ensemble, son attitude avait gagné en humilité, et la mienne perdu en complexe d'infériorité. Nous étions sur un pied d'égalité, et je ne me sentais plus coupable de regarder ceux de Marie quand elle se douchait à côté de moi.

Sébastien Morin.

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5 mars 2012

Maitreya

La première empathe à avoir expérimenté le transfert de conscience aurait vécu entre la fin du 20e et le début du 21e siècle. Certaines notes retrouvées dans les archives des premiers réseaux sociaux situent l'évènement au début des années 2010, en ex-france. L'identité précise du sujet figure probablement encore sur les rapports secrets collectés par le bureau d'investigation international en place au début du 22e siècle. Nous n'avons donc actuellement qu'un condensé des diverses données numériques collectées par notre organisation pour nous faire une idée sur sa personnalité. L'élément d'information commun à toutes ces données reste le caractère bienveillant de son empathie; une modalité inexistante chez les empathes contemporains. Nous pensons donc que le premier transfert de conscience empathique a été provoqué par altruisme, et qu'il a été détourné de son intention originelle à des fins sécuritaires. Le document présent se propose donc d'apporter un éclairage sur la genèse du transfert de conscience empathique, à travers la figure de celle que l'on connait sous le nom de Maitreya, la première empathe.
Afin de saisir au mieux la dimension axiologique du phénomène, et d'éviter ainsi toute forme d'anachronisme, il nous a semblé nécessaire de replacer préalablement l'évènement dans son contexte politique, social, économique et écologique, en livrant quelques mots-clés qui permettront à ceux qui le désirent d'approfondir leurs recherches:
ère cénozoïque/ anthropocène/ changement climatique anthropique/ pré-hiver nucléaire/ effondrement du capitalisme/ ultra-libéralisme/ surconsommation/ surpopulation/ première génération de la dynastie sarkozy en ex-france/ révolutions arabes/ Icann sous le contrôle du département du commerce des Etats-Unis/ cyber-fichage/ Etats démocratiques/ inégalités économiques croissantes/ raréfaction des ressources naturelles/ développement des politiques sécuritaires/ premières puces RFID/ formation du Federal World Government/ organisation internationnale des mouvements révolutionnaires/ création de l'U.G.D (l'ultra gauche décomplexée) en ex-france autours du leader charismatique sébastien morin/

Voici donc les premières traces numériques où apparaitrait Maitreya, dite "la bienveillante":

"KIKOU TOU LE MONDE! Cé encore moi! lol! ...Tro chelou ski mé arrivé hier :-(
je fesais lé soldes, comme vous ;-) y'en a kiss reconaissent? mdr et devan pimkie jvoi une meuf assise par terre elle ma fé tro de la pène... :-( elle avé l'air dan la misère et en plus y'avé un bébé avec elle t'as vu ...!!! kro mignon! la plu belle chose ki existe du monde pour moi cé avec les cha et les dofins. alors je lui di bonjour en lui sourian pour lui montré qu'elle est une être humaine comme moi, et que peu qu'importe la couleur de la peau (maron là) on fé tous caca de la même couleur é que justemen cé la sienne, é elle me souri même pa la pute et elle me dit dé trucs que jé rien compri tellemen elle parlai tro mal céfran et moi vou me conaissez bonne poire comme je sui j'essaye kan même de conprendre et pour rigolé je regarde le choupilou (KRO BO!) é je lui di: kesk'elle di maman? é la il me fé un grrrrros sourire! :) alor je regarde la meuf ki fesai tro la gueule et je lui di: vou voyez cé pa compliké et ça marchera suremen mieu comme ça. Et la jé une idé tro bonne, je rentre dans pimkie, même pas je di bonjour à kévin, j'achète les tro belles bottines fushia que je voulai é je lé donne à la clochare!!!!! JE VOu PROMé JE L'AI Fé! é tou le monde il me regardai c'été tro la classe é kévin il rigolai tro avec ses collègues tellemen c'étai bo. C'étai majique comme dan préty woman. é la franchement j'ai rien conprise.Elle se vénère grave contre moi je savai même pa pourkoi alor qu'elle avai des chaussures toutes pouries j'étai tro dégouté de la vie franchement je crois plus en l'homme depui. Heureusement y'avé une aut'meuf k'avai tou vu la sène é k'avai surment comprise ke j'étai en train d'esspliqué à la clochare ki falai bien présenté si elle voulai que son bébé il mange, é alors la meuf elle va essayé de lui esspliker aussi (elle savai pas que j'étai en BEP commerce la pôvre!14 de mouayenne en aceuille-cliants au deuzième trimesse!) cétai tro chelou elle sé ajenouyé devan la charclode et elle lui a prise la tête dan les mains en la regardan droi dan lé zieu et l'ôtre elle sé calmé directe. Elles on même pa parlé les meufs é on avait dit que la roumaine elle avai compri sk'on esséyait de lui dire pask'après elle souriai.
VOILI VOILOU pour la ptite histwoire! A plus dans le bus! et bonne vacansse a tous :)"

Les analyses de cette forme primitive de dialecte par nos spécialistes en linguistique nous ont amené à la conclusion suivante: Dans une époque d'individualisme généralisé, Maitreya était la seule à pouvoir faire preuve d'une appréhension immédiate de l'affectivité d'autrui, et ce sans aucun jugement moral ni aucune fin personnelle. Seul un pur don de soi a donc pu permettre le phénomène de transfert. Le récit nous dit que Maitreya a commencé par entrer dans la conscience du nouveau-né afin d'apaiser ses souffrances en habitant son corps durant un laps de temps suffisant pour lui laisser une empreinte indélébile de sa bienveillance. La mère semble être un sujet réticent à l'empathie, ce qui amène Maitreya à lui offrir les bottines fushia, qui sont aujourd'hui le symbole de notre résistance aux transferts de conscience empathique sécuritaires, perpétrés de manière intempestive par les milices du gouvernement mondial en place. Quelques zones d'ombre persistent encore à la fin du texte, où il est question de l'intervention d'une autre personne, non-identifiée à ce jour.

KIKOU à tous les résistants.

Sébastien Morin

 

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